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1000mercis pour l’Offre

18 décembre 2020 by

Une Offre Publique (OPA, OPRA, OPAS, OPR, OPRO, OPM) est en général le moment où l’investisseur particulier vend un titre. Mais il y a des exceptions. C’est parfois le moment pour acheter un titre. Le cas était évident sur Gaumont. Plus récemment, c’était aussi le cas sur DNX, bien que je n’ai pas su le voir tout de suite. C’est peut-être le cas aujourd’hui avec 1000mercis.

Le groupe 1000mercis (ALMIL), dont la marque se nomme Numberly, opère dans la publicité digitale et le marketing digital sur fond de bigdata. Il a été créé en 2000 par Yseulys Costes et Thibaut Munier qui détiennent toujours 42 % du capital.  Ce qui m’a alerté sur ce titre, c’est l’annonce d’une OPRA sur 500 000 actions (~19 % du capital) à 18 €, avec une prime dérisoire de 12,85 % par rapport au cours de clôture du 30 novembre 2020.

▣ Les comptes

Avec le bilan semestriel au 30 juin 2020, et les comptes annuels 2019, nous avons :

  • Prix = 17,4 €/action
  • N = 2,639 M actions dont 0,085 M auto-détenues
  • Capitalisation = 51,5 M€
  • Cash et équivalents = 26,3 M€
  • Dettes financières (partie restant due de l’emprunt pour achat du siège parisien) = 17,4 M€
  • Cash net = 8,9 M€
  • Fonds de roulement = -2 M€
  • EV = 44,6 M€
  • CA = 69,2 M€ (les résultats et cash-flows donnés sont ceux de 2019)
  • EBIT = 2,9 M€
  • EBITDA = 7,4 M€
  • RN = 2,5 M€
  • CAF = 7 M€
  • FCF = 3,5 M€.

On a ainsi :

  • P/E = 21
  • EV/EBITDA = 6
  • EV/FCF = 12,7.

Pas de quoi en faire une société value. Sauf que…

L’immobilier

Il est bien connu que la perle de 1000mercis est son immobilier. Par l’intermédiaire d’une SCI qu’elle détient en propre, la société est en effet propriétaire de l’immeuble abritant son siège social. Celui-ci est situé dans des beaux quartiers de Paris, rue de Chateaudun, dans le 9e.

L’immeuble a été acheté 35 M€ en 2014, et le prix de l’immobilier dans le quartier a fait +40 % depuis ((Cf. par exemple ici : https://www.zonebourse.com/cours/action/1000MERCIS-32717/actualite/1000mercis-1000Mercis-vraiment–31926575/)), soit une valorisation actuelle de 49 M€. Au bilan, il est comptabilisé 29 M€ net d’amortissements (environ 1 M€ annuels). Il faut donc compter environ 6 M€ d’impôts sur la PV en cas de vente.

La valeur net d’impôts de l’immeuble est ainsi d’environ 43 M€, soit la capitalisation boursière. Le business est gratuit.

▣ Valorisation

L’immobilier de 1000mercis est opérationnel mais n’est pas indispensable. La société pourrait très bien vendre puis être en location dans le même immeuble, ou même ailleurs pour moins cher. Je vais donc supposer l’immeuble vendu 43 M€ net. Actuellement, il rapporte 2 M€ à la SCI, dont 0,4 M€ loués à un tiers, plus 1,6 M€ loués à la société et évidemment neutralisés dans les comptes consolidés. L’amortissement est de 1 M€ par an. Je retire donc 1 M€ aux bénéfices annuels et 2 M€ aux FCF pour ma valorisation, ce qui donne : EBITDA = 5,4 M€, FCF = 1,5 M€, RN = 1,5 M€.

Le document de référence de l’OPRA mentionne notamment que les actions auto-détenues par la société ont vocation à être annulées. Je suppose aussi que l’offre va fonctionner correctement, je vais faire comme si les 500 000 actions étaient annulées et que les 9,3 M€ correspondants étaient sortis des caisses.

Je retranche également le cash pour les actions rachetées en juillet et pour les 35 661 actions gratuites en cours d’acquisition.

Il faut par ailleurs remarquer que le niveau de trésorerie est important car il y a eu une forte diminution du BFR au premier semestre du fait d’une baisse d’activité liée au Covid. Je préfère être conservateur et me dire que le niveau normatif de trésorerie correspond à celui de fin 2019. Je retranche donc 12 M€ à la trésorerie et les ajoute aux créances clients.

Avec mes ratios conservateurs usuels, je trouve alors les valorisations suivantes par action :

  • Valeur (EV/EBITDA=4) = 24 € 
  • Valeur (EV/FCF=5) = 17 €
  • Valeur (EV/RN=8) = 19,5 €
  • Valeur (P/FCF=7) = 5 €
  • Valeur liquidative = 17,5 €.

Je donne la valeur en P/FCF par pédagogie, mais elle doit être écartée puisqu’après l’hypothétique vente, la société possèderait un gros matelas de cash : environ 17 €  par action.

Kepler Chevreux (document de l’offre, p. 31) indique que la médiane des comparables est de 6,7 pour l’EV/EBITDA et de 10,6 pour l’EV/EBIT (Chiffres pour 2019. Je ne me fie pas aux prédictions). Ces valeurs, associées à ma méthode, donnent :

  • Valeur (EV/EBITDA=6,7) = 31 € 
  • Valeur (EV/EBIT=10,6) = 23 €.

Pour une fois, je ne tirerai pas sur l’expert indépendant qui a statué sur l’offre. Il a en effet le mérite de distinguer deux cas de valorisation : celui où l’on considère que l’immobilier du siège est un actif opérationnel, et celui où on considère que la société pourrait être locataire de son siège. Les valorisations trouvées sont alors comprises entre 15 € (premier cas) et 25 € (deuxième cas, avec multiple d’EV/EBIT). L’expert sait qu’il contredit ainsi l’établissement présentateur de l’offre. En effet, Kepler Chevreux ne garde que l’hypothèse basse : il considère directement que l’immobilier est opérationnel, et trouve une valorisation comprise entre 15,75 € et 17,30 €… L’expert indique enfin que l’offre non obligatoire fournit une fenêtre de liquidité pour les actionnaires qui voudraient apporter et une opportunité de relution pour les autres. Pas faux…

▣ Indicateurs supplémentaires

Pour ceux qui suivent les bons gérants, ajoutons deux points. A l’annonce de l’OPRA, Moneta AM a acheté 30 000 actions à 17,40 € à Amiral Gestion, et se retrouve maintenant avec 267 631 actions, soit 9 % du capital (AMF, document 220C5288). Moneta considère donc que l’affaire est belle (ou au moins qu’il y a un arbitrage à faire : +3 % jusqu’à l’OPRA). Raymond James AM est aussi sur le coup depuis un certain temps puisque Louis de Fels conseille l’achat de 1000mercis depuis 2 ans, quand l’action cotait encore 21-22 € (BFM, « C’est votre argent ». Il vient toutefois de dire qu’il vendrait, cf. 11 déc.).

Dans la valorisation, je n’ai pas compté la croissance de la société. Celle-ci a été de +53 % sur les cinq dernières années, soit +9 % par an. Comme toute croissance, elle a un double effet : elle grève les résultats actuels du fait des investissements, et elle augmentera les résultats futurs.

Notons enfin que les dirigeants semblent bien mener la barque. Ils ont bonne réputation.

▣ Conclusion

Une société rentable, en croissance, au prix de son immobilier net, en situation de cash net. Voilà la situation parfaite pour quelqu’un qui aime investir dans une optique de préservation du capital. Préserver son capital stricto sensu n’est pas une fin en soit en bourse, sinon on placerait son argent sur un livret A. Préserver son capital signifie qu’on investit dans une situation totalement asymétrique : on estime qu’on n’a aucune chance de perdre de l’argent (plus exactement, la probabilité semble extrêmement faible), et on a une chance non négligeable d’en gagner. On est dans la situation de l’investissement boursier qui permet de dormir sur ses deux oreilles, en attendant que « quelque chose de bien se passe ».

L’OPRA à 18 € est réalisée au prix de la valeur liquidative qui est une valeur minimale calculée de façon conservative. La vraie valeur est probablement plus élevée. Ma valeur centrale prudente ressort à 21 €.

Mise en garde : si la société est sous son prix, c’est qu’il y a une raison, la rentabilité du business est déclinante. Malgré l’augmentation du CA, les bénéfices ne cessent de diminuer. Prudence donc.

Soulignons qu’outre un placement à long terme, l’achat de 1000mercis peut avoir  une deuxième facette intéressante : il peut être vu comme du « quasi-cash », un placement à court terme pour les liquidités, à +3 % sur 2 mois. Toutefois, l’offre est partielle et il faut être à l’aise avec le fait de garder les actions ou de vendre le reliquat à un prix inconnu à l’avance.

Troisième possibilité, acheter une assez grande quantité, et apporter à l’offre, afin de faire diminuer le PRU des titres non retenus par l’offre.

Je suis actionnaire pour 3 % du portefeuille à ce jour, et j’en achèterai peut-être encore. Je n’ai pas encore décidé laquelle des possibilités j’allais choisir.

PS. Cet article a été achevé il y a quelques jours, mais j’ai attendu de connaître la raison de la suspension de cours avant de le publier. Dans la déclaration mise en ligne il y a quelques instants par l’AMF on apprend que :

  • l’offre a été relevée à 20 €,
  • elle porte sur 450 000 au lieu de 500 000 actions,
  • et la cotation reprendra lundi.

L’article pourra peut-être vous être utile pour savoir si vous voulez ou non apporter à l’offre. Personnellement, je vais apporter ou vendre avant. Je ne garderai probablement pas les titres à l’issue de l’offre.

A bientôt.

JL – 18 décembre 2020.

 

Mises à jour

Article paru le 20 mars dans Investir 

JL – 24 mars 2021.

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10 Responses to 1000mercis pour l’Offre

  1. cat

    Bonjour JL,

    merci pour cet article (de qualité, comme tous les autres d’ailleurs).
    L’idée de valoriser un business internet par l’immobilier, j’adore… On devrait pouvoir le faire plus souvent.

    Bien à vous,
    cat

    • Jerome Leivrek Post author

      Bonjour Cat,
      Merci pour votre commentaire.
      Je viens de corriger une erreur dans mes chiffres de valorisation de l’immobilier, qui passe de 48 à 43 M€ net. Ca diminue les valorisations de 2 €/action. Malgré le temps passé, il y a toujours moyen de se tromper…
      JL

  2. Investisseur avisé

    Bon article, ça reste intéressant pour faire un placement à court terme en achetant en dessous de 19 € et en apportant l offre à 20 €, 5% brut en cette période de taux négatif en 2 mois , c est très intéressant, J en ai pris et je les apporterait à l offre, je ne pense que les 450 000 titres racheté trouveront preneurs vu le cours passé

  3. Jerome Leivrek Post author

    Fin de l’offre. L’offre de rachat à 20 € a été sous-souscrite : 396 705 actions ont été apportées alors que la société avait proposé d’en racheter jusqu’à 450 000. Par ailleurs, le cours de bourse est resté autour de 18,75 €.

    Il y avait donc 5 % à faire jusqu’aux derniers jours (avec un risque de non exécution sur la totalité).

    J’avais vendu mes titres toute fin décembre, car je n’avais plus de cash et je voulais renforcer une autre situation spéciale qui me semblait un peu plus intéressante : sofragi (voir l’article, +7,5 % en un mois).

  4. Investisseur avisé

    Oui c’est assez fou que le cours ne ce soit pas plus ajusté au prix de l’offre, honnêtement je n’ai jamais cru que l’offre ferait le plein compte tenu des historiques de valorisation de la boite, c’etait un arbitrage assez simple à faire avec un très faible risque

  5. Yaco

    Elle n’a de nouveau (de loin cette fois) pas fait le plein. ,
    Quid de l’avenir? Elle cote de nouveau sous le prix d’offre, et est maintenant vraiment très illiquide. À l’inverse d l’article, je ne sais pas si les dirigeants se sont illustrés par leur sérieux sur ce coup. D’abord relèvement de l’offre puis carrément nouvelle offre à +50% un an plus tard, alors que la situation n’a pas fondamentalement changée… Une fois encore on peut s’étonner de l’avis de l’expert « indépendant“ (voir SMTPC, les OPA à 2 tours, et autre…).

  6. Jerome Leivrek Post author

    Probablement la fin de l’histoire après plusieurs relèvements d’offre, comme quoi ça arrive, surtout si un actionnaire (ici Moneta) détient plus de 10 % du capital. Après une offre à 18 €, puis 20 €, puis 30 €, il y a eu un dividende de 10,2 €, et enfin nouvelle offre à 30 €.
    JL

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