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Videlio, l’affaire du moment ?

27 avril 2020 by

Vidélio (ex IEC Professionnel Média) est une nano cap active dans la vidéo. Elle conçoit, réalise et exploite des systèmes audiovisuels professionnels dans les domaines du sport, de l’événementiel, de la croisière maritime, des musées, de la scène, du cinéma, de la musique, des médias, de l’hotellerie-restauration, et du corporate en général. Cette société ne semble pas intéresser les investisseurs : j’ai trouvé très peu d’information sur les forums boursiers.

▣ Données financières brutes

Lorsqu’on compile quelques données financières brutes (cf. rapport annuel 2019), on reste interloqués par ses ratios de valorisation très faibles :

  • Cours de l’action = 1,55 €
  • Nombre d’actions hors autocontrôle = 24,5 M
  • Capitalisation = 38 M€
  • Cash net = 37,4 – 9,5 – 5,5  = 22,4 M€
  • EV = 15,5 M€
  • CA = 247 M€
  • EBITDA = 19,4 M€
  • CAF = 15,5 M€
  • FCF (hors dBFR) = 13 M€ 
  • EV/EBITDA = 0,8
  • P/FCF = 3
  • P/E = 6.

Le tout avec un CA en croissance (+ 33 % en 5 ans).

Regardons de plus près si l’affaire est aussi bonne qu’il y parait.

Le cash net et l’EV

Précisons tout d’abord que je préfère employer le terme de cash net, qui selon ma définition personnelle est définie par

  • cash net = trésorerie et équivalents – dettes financières long et court terme,

ceci afin de le distinguer de la trésorerie nette, avec laquelle on laquelle on le confond souvent par abus de langage, mais qui, strictu senso, en comptabilité, et dans beaucoup de rapports financiers, est définie par :

  • trésorerie nette = trésorerie et équivalents – dettes financières court terme.

Le cash net de 19,5 M€ donné au dessus a été calculé de cette façon.

Il y a toutefois une considération importante dont il faut tenir compte : l’affacturage.

L’affacturage (factoring en anglais) est une technique de financement et de recouvrement de créances mise en œuvre par les entreprises et consistant à obtenir un financement anticipé et à sous-traiter cette gestion à un établissement de crédit spécialisé : l’affactureur ou, en anglais, factor (Wikipedia).

Pratiquement, les créances clients sont donc transformées en cash moyennant quelques frais. Chez Vidélio, le recours à l’affacturage est important : 39,5 M€ au 31 décembre 2019. Doit-on considérer les 39,5 M€ de trésorerie ainsi obtenue comme une vraie trésorerie ou comme une créance client ? Dit autrement, faut-il mettre en face de cette trésorerie, une dette financière court-terme de 39,5 M€ [Edit, cf commentaires : et une créance client] ? Le débat fait rage dans la communauté des investisseurs. Certains pensent que le cash est acquis et que le système est pérenne, d’autre que ce n’est qu’une avance de trésorerie adossée à une créance, ce que l’article de Wikipédia semble d’ailleurs suggérer :

Il s’agit donc d’un crédit à très brève échéance, correspondant au délai de paiement accordé au débiteur.

Personnellement, j’ai tenu compte du point suivant dans ma réflexion : je souhaite comparer les sociétés entre elles. Or, prenons deux sociétés parfaitement identiques, dont l’une procède à l’affacturage, l’autre non. Est-ce que l’une a plus de valeur que l’autre ? Je ne crois pas. Je considère donc l’affacturage comme une avance de trésorerie et je définis:

  • cash net = trésorerie et équivalents – dettes financières long et court terme – affacturage
  • EV = capitalisation – cash net.

Je transformerai donc, dans mes évaluations, la trésorerie correspondant aux affacturages en créances clients.

Pour Vidélio, cela revient à corriger les nombres donnés plus haut en :

  • Cash net = 22,4 – 39,5  = – 17,1 M€
  • EV = 55 M€.

L’EBITDA et le FCF

Les nouvelles normes financières, appelées IFRS 16, changent un certain nombre de choses, qui peuvent se révéler importantes, dans les comptes des entreprises. Reprenons, notamment, la précision apportée dans le rapport de Vidélio, p. 106, sur les contrats de location :

IFRS 16 « Contrats de location ». La norme IFRS 16 est entrée en vigueur de façon obligatoire à compter du 1er janvier 2019. Cette norme, qui remplace la norme IAS 17, conduit le groupe à comptabiliser tous les contrats de location, en tant que preneur, de la même façon, sans faire de distinction entre location-financement et location simple.
La comptabilisation implique la reconnaissance au bilan d’un actif au titre du droit d’utilisation et d’un passif au titre des loyers futurs, et génère des changements de présentation :
• Au compte de résultat :
– il n’y a plus de charges de loyers relatives à ces contrats, mais des dotations aux amortissements en résultat opérationnel.
– des charges financières d’intérêts sur les dettes de loyer sont comptabilisées sur la ligne Cout de l’ endettement financier net.
• Dans le tableau des flux de trésorerie : le paiement des loyers auparavant présenté au sein des flux liés aux activités opérationnelles est présenté en flux liés au financement sous la forme d’un remboursement de dette de loyer et d’intérêts financiers versés.

On en conclut qu’en norme IFRS 16, il faut décompter les loyers de l’EBITDA et du FCF tels que calculés auparavant, c’est-à-dire écrire :

  • EBITDA = REX + DAP – loyers (et intérêts sur loyers)
  • FCF = CAF – capex – loyers (et intérêts sur loyers).

Dans les cas où il s’agira d’un crédit-bail, je considèrerai cela comme un capex de croissance dans la mesure où ce versement n’est pas à fond perdu et surtout n’est pas éternel.

Pour Vidélio (note 17 page 129), cela donne :

  • EBITDA = 19,4 – 4,8 = 14,6 M€
  • FCF (hors dBFR) = 13 – 4,8 = 8,2 M€.

Ratio réévalués

On trouve ainsi les ratios corrigés :

  • EV/EBITDA = 3,8  (au lieu de 0,8)
  • P/FCF = 4,6  (au lieu de 3)
  • P/E = 6  (inchangé).

C’est toujours bon marché, mais pas aussi délirant que cela paraissait.

Actionnariat et management

Les actionnaires principaux sont

  • Crozaloc 17 M = 65 %
  • Sochrastem 4,4 M = 16,8 %
  • Autocontrôle 1,6 M = 6,1 %
  • Public 2,7 M = 10,5 %.

Crozaloc SA est détenue à 87,57 % par la société Talis, laquelle n’est pas contrôlée. En 2019, Crozaloc est passée de 46% à 65% sans OPA, sur dérogation l’AMF, en faisant l’acquisition de gré à gré de plusieurs blocs d’actions Videlio auprès de 5 actionnaires au prix unitaire de 1,80 €. Les dividendes que percevra Crozaloc seront en priorité employés au remboursement du prêt bancaire souscrit pour cet achat.

Il y a d’ailleurs eu un dividende exceptionnel de 0,27 € versé mi-2019. Les autres années, le dividende est en général de 0,04 €.

Au niveau du management, je déplore un rapport annuel énorme (240 pages) mais rempli de phrases creuses : 

« Notre Groupe trace la route qui sera suivie par nos challengers. Acteur de l’innovation, totalement intégré à notre écosystème et toujours à l’écoute, nous avons vocation à gagner et garder la première place pour accompagner nos clients (entreprises et administration) ainsi que les clients de nos clients (passagers, visiteurs, spectateurs) dans la réussite de leurs expériences digitales ! »
« À l’heure de l’instantanéité, VIDELIO, par son activité BtoBtoC, met en place des solutions digitales qui subliment l’expérience des visiteurs en s’adaptant aux profils des nouveaux consommateurs. »
« Bref, le digital est partout ! Les usages évoluent et les attentes de leurs utilisateurs aussi. Les environnements doivent s’adapter pour offrir une expérience digitale unique : intuitive, engageante et surprenante. »

Etc. Trés original et très informatif ! Je n’ai meme pas réussi à bien savoir ce qu’ils faisaient en feuilletant le rapport. Pour garder cet achat, je me fie juste aux ratios de valorisation 2019.

Conclusion

Vidélio n’est donc pas l’affaire du moment qu’il pourrait paraitre. Mais avec un EV/EBITDA = 3,8 et un P/FCF = 4,6, cela reste peu cher pour une société en croissance (+33 % sur le CA en 5 ans). L’article était aussi l’occasion de creuser quelques particularités comptables.

Actionnaire depuis 3 semaines pour 1 % du portefeuille.

JL, 28 avril 2020.

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9 Responses to Videlio, l’affaire du moment ?

  1. Laurent

    Salut Jerome,

    pour l’affacturage, effectivement, le cash est un peu bancal et il conviendrait, si l’on veut comparer à d’autres sociétés, de comparer cash + créances clients. L’affacturage permet de récupérer immédiatement le cash à l’émission de la facture. Cela fait gagner quelques mois de fonds de roulement.

    Mais d’un autre côté, le cash, c’est vrai, est plus acquis que dans la situation d’une autre société sans affacturage, sur laquelle plane le spectre d’un éventuel défaut de paiement des clients.

    Cela peut se résoudre en comparant Cash + (Créances Clients x Décote), ce qui est assez classique finalement.

    Par contre, je ne vois pas trop en quoi ce serait une dette, car la raison d’être du factor est justement de prendre le risque de défaut de paiement… car c’est une des raisons pour lesquelles il est payé. Enfin à partir du moment où le factor a accepté la facture ; il peut refuser les clients qui présentent un trop grand risque.

    A+

    • Jerome Leivrek Post author

      Salut Laurent,
      Effectivement ce n’était pas clair du tout ! Je voulais dire qu’au lieu de considérer l’affacturage comme de la trésorerie (39,5 M€) je pourrais le considérer comme : trésorerie (39,5 M€) – dette financière (39,5 M€) + créances clients (39,5 M€).
      C’est un peu ce que j’ai fait finalement en neutralisant les deux premiers termes.

      • Laurent

        Mmmm, mais dans ce cas, tu ne fais que transformer le cash en créance client, ce qui n’est pas vraiment le cas. Il me semble qu’effectivement les tenants du « le cash a été perçu » ont partiellement raison, le cash n’a pas la même valeur qu’une créance clients, il vaut plus (en plus ils ont vraisemblablement payé 100 ou 200 k euros pour cela).

        Puis en compta, ça donnerait quoi ? Tu annules la dette et la tréso (donc un – des deux côtés, actif et passif) puis ensuite, tu montes du côté les créances ? Ou est-ce que tu passe une dette LT en CT ? Bref, cela donne une cuisine très étrange. On est proche de la formule alchimique où l’on additionne et soustrait des termes non équivalents qui ont en plus une valeur fictive.

        Car si l’on veut manipuler des éléments comptables et faire des transformations comptables, il faut raisonner en comptable, et ne pas oublier que les calculs nets-nets et autres ne sont pas des termes comptables, ce sont des approximations de valorisation.

        La bonne vieille définition d’une nette-nette version Graham me parait la meilleure solution :
        Cash + Investissements CT + (75% * Créances Clients) + (50% * Inventaires) – Toutes Dettes = une valeur non comptable bien commode pour valoriser une boite, mais c’est tout.

        • Jerome Leivrek Post author

          Oui ca revient à transformer le cash en créance client, ce que j’ai fait finalement.
          Ok pour calculer la VANN ou tout autre valeur liquidative comme valorisation, mais là mon but n’était pas de calculer une valorisation de la boite mais de calculer la Valeur d’Entreprise à partir du cours de bourse, et de façon la plus proche possible de ce que je suppose être utilisé par les experts des fusions & acquisitions.

          • Laurent Staub

            En fait, c’est juste l’histoire de la dette que je ne comprends pas.

            Pour avoir une égalité comptable, tu crédites le cash (- 39.5 M cash) puis tu débites les créances clients (+ 39.5 M créances clients). Pas besoin de mettre de dette en face. Le résultat est le même, c’est juste le cheminement qui me semble étrange.

            • Jerome Leivrek Post author

              Au lieu de faire (- 39.5 M cash) tu peux faire (+ 39.5 M dettes fi) c’est pareil.

              En résumé, comme retraitement du bilan, tu peux faire :

              trésorerie (39,5 M€) devient trésorerie (39,5 M€) – dette financière (39,5 M€) + créances clients (39,5 M€)

              ou

              trésorerie (39,5 M€) devient créances clients (39,5 M€).

              • Laurent Staub

                La première écriture ne me parait toujours pas vraiment juste, en tout cas pas claire. Car si tu ajoutes des dettes, tu n’annules pas le cash (comptablement), tu dois ajouter les créances clients pour équilibrer le bilan. Si tu as un poste augmenté de dettes (+ 39.5), il te faut des actifs en face pour équilibrer (+ 39.5), ce qui fait que tu n’annules pas le cash (+0), tu ajoutes des créances clients (+ 39.5), pour avoir + 39.5 M des deux côtés.

                Dans ton calcul d’actif net, ensuite, le cash et la dettes seront annulés (du coup, où est l’intérêt de la manoeuvre ? Tu déformes le bilan pour pas grand-chose non ?), mais seulement dans un deuxième temps, hors compta.

                Mais ok, je vois ce que tu veux dire maintenant.

                Finalement, de toute façon, le plus important, c’est que ça grimpe !!!!

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