La stratégie deep value est la plus simple que l’on puisse trouver. C’est pour cela qu’elle est une de mes préférées. Surtout qu’elle est aussi une des plus efficaces.
C’est très simple : elle consiste à acheter une entreprise beaucoup moins cher que la valeur de son patrimoine.
Comme pour l’anamorphose du tableau de Holbein, elle demande de regarder l’entreprise sous un regard différent de celui du marché, non pas celui des bénéfices mais celui du patrimoine.
Acheter 2 euros au prix de 1 euro
Imaginez par exemple que vous êtes boulanger et que vous vouliez acheter votre propre boulangerie (mur et fonds de commerce). Vous en trouvez une en vente à 1 M€. En faisant une rapide inspection vous estimez que vu son emplacement la maison qui abrite cette boulangerie vaut au bas mot 1,1 M€, le terrain 0,6 M€, les véhicules 0,1 M€, les divers outils 0,2 M€ et qu’il y a 0,5 M€ de dettes. Une rapide addition vous amène à une valeur nette de dettes de 1,5 M, soit 50 % de plus que le prix demandé. Rien que le terrain et les murs, facilement vendables, vous rapporteraient 1,2 M€ net (sous entendu net de dettes). Vous achetez donc la boulangerie avec un discount sur le prix des murs net de dettes mais en plus vous avez le fonds de commerce gratuitement. L’affaire ne parait pas très risquée c’est le moins que l’on puisse dire.
C’est ce genre d’affaire que nous cherchons dans l’investissement deep value. Inutile de dire que vous aurez du mal à trouver une boulangerie avec une telle ristourne. Il est même possible que cela n’existe pas. Par contre en bourse tout est possible ! Il y a des périodes où ce genre d’affaire n’est pas rare du tout. En plus avec les actions il n’y pas de frais de notaire, de paperasse à n’en plus finir et dans la plupart des cas quand vous voulez vendre pas de souci pour trouver un acheteur.
Comment faire pour trouver ces bonnes affaires ? Et bien il faut lire les états financiers de l’entreprise.
Lire les états financiers de l’entreprise
Les états financiers de société sont divisés en trois parties :
- le bilan, qui est une évaluation du patrimoine à l’instant t (en fin d’année comptable),
- le compte de résultats qui fait la synthèse de ce que la société a gagné ou perdu en valeur sur l’année comptable (ou le semestre ou le trimestre),
- le tableau des flux de trésorerie, qui fait la synthèse des entrées et sorties de cash sur l’année comptable.
En exagérant, on peut dire que l’investisseur deep value ne s’intéresse qu’à la première partie : le bilan.
Celui-ci est divisé en deux : les actifs, c’est ce que la société possède, et les passifs, qui indiquent avec quels fonds la société a acheté les actifs. Les deux sont, par définition, égaux :
Actifs = Passifs.
Les passifs comprennent les dettes mais aussi l’apport des actionnaires ; on appelle cette deuxième part, les « fonds propres » : ce sont les fonds que les actionnaires ont mis plus ou moins directement dans la société (y compris les bénéfices de la société non reversés aux actionnaires). On peut le voir aussi comme l’ensemble des actifs moins les dettes. On peut donc écrire une deuxième équation :
Passifs = Dettes + Fonds propres.
En appelant actifs nets les actifs moins les dettes on obtient des deux égalités précédentes la relation :
Actifs nets = Fonds propres.
Si les fonds propres indiquent ce qui a été fourni pas les actionnaires et la valeur net comptable du patrimoine (celle inscrite aux comptes), cela n’indique pas nécessairement la valeur de marché de l’entreprise. La première raison est que souvent la valeur comptable ne reflète pas la vraie valeur des actifs. Exemple : du fait des règles comptables un immeuble bien placé aura subi une dépréciation dans les comptes alors que les prix de l’immobilier sont au contraire en pleine effervescence. Ou le contraire, une usine qui a coûté cher, mais dont personne ne veut, peut avoir une valeur marchande nulle.
L’art de l’analyste deep value sera donc d’estimer la valeur des actifs inscrits au bilan.
Powerfilm, un exemple-type
Prenons l’exemple de Powerfilm (en 2014…), société US anciennement cotée à Londres qui fabrique des panneaux photovoltaïques souples. Nous avons légèrement simplifié le bilan au 30 juin 2014 et comme le cours est en pence (autour de 8,5 p en 2014) nous avons converti les lignes en pence par action :
Juin 2014 | |
p/action | |
Cash et équivalents | 14,73 |
Créances clients | 2,49 |
Stocks | 5,82 |
Prépayés et taxes différées | 0,27 |
Total actifs courants | 23,31 |
Placements financiers (certificats de dépôts long terme et prêts à terme) | 5,62 |
Propriétés et équipements | 24,36 |
Autres actifs | 0,22 |
Total actifs non courants | 30,20 |
Total actifs | 53,51 |
Dettes courantes | 2,10 |
Dettes long terme | 5,51 |
Total dettes | 7,62 |
Fonds propres | 45,89 |
Que constatons-nous ?
Que le poste cash et équivalents couvre plus que toutes les dettes : la société n’a pas de problème de remboursement d’échéance. Que la différence des deux est de 7,1 p soit à peu près le cours de bourse. En achetant Powerfilm à 8,5 p vous êtes déjà propriétaire de 7,1 p de cash net de toutes dettes. En somme vous ne payez pas le reste de l’entreprise ! Cela ressemble déjà un peu à notre boulangerie impossible. Si l’on regarde le reste de l’entreprise on s’aperçoit qu’elle est loin d’avoir une valeur nulle : 5,6 p de placements financiers qui sont facilement monnayables, 2,5 p de créances clients probablement en grande partie recouvrables. Il est difficile d’avoir une idée de la valeur du reste : stocks et propriétés comptabilisés pour plus de 30 p. Mais de toute façon vous l’achetez gratuitement.
Bref, en achetant toute l’entreprise à 8,5 p/action puis en la liquidant on voit facilement que vous obtiendriez au moins le double de votre achat. C’est bien ce qui s’appelle acheter 2 euros au prix de 1 euro.
A noter qu’on ne gagne pas systématiquement, ou pas forcément rapidement, avec cette méthode, comme le prouve l’exemple de Powerfilm, une des sociétés les moins chères que j’ai achetées, mais qui ne m’a pas encore permis de gagner de l’argent.
JL – commencé en juillet 2014 – complété en 2016 puis en mars 2018.
Bravo pour l’article Jérôme, bien expliqué avec deux illustrations le tout dans un format concis !!
Une autre approche du Value, par les flux libres, je ne sais pas si vous connaissez ce vieil article de ce cher W.H. : http://www.independance-et-expansion.com/files/fondements-theoriques/go-for-value.pdf
Non je ne le connaissais pas celui-là, merci pour la lecture !
L’avantage de la boulangerie est que vous avez le contrôle. Vous êtes par exemple libre de monétiser les murs et le terrain. Ca fait un moment que je trouve que « le marché » manque d’activistes et autres investisseurs avec la philosophie d’investissement décrite, afin de prendre le contrôle ou au minimum d’acquérir les titres proposés à (parfois « trop ») bon compte.
C’est assez marrant, car – en plus des lectures de Warren Buffett et Benjamin Graham – c’est surtout par expériences personnelles de membres de l’équipe qui ont essayé d’acheter des (petites) entreprises entières dans la période 2005-2008, que nous avons compris qu’acheter des net-net était irréaliste sur un marché privé. Déjà bien malin est celui qui réussit à racheter une entreprise établie à 1,5x les fonds propres. Alors 1/5 des fonds propres et parfois rentable (à nos débuts en 2008), c’était hallucinant !
En fait, la psychologie des foules, la dématérialisation des titres, leur négociabilité à la minute permet aux investisseurs boursiers de faire des affaires qui seraient impossibles dans la vie réelle.
Bien sûr, acheter une fraction d’entreprise par le biais des marchés boursiers ne peut pas complétement se comparer à acquérir l’intégralité d’une entreprise. Mais cela n’explique pas les décotes que l’on peut dénicher.
Avec, il est vrai, les avantages administratifs et les gains de temps dans lors des négociations liés aux transactions financières en bourse vs. « la vie réelle ».
Il faut savoir en profiter et tirer au maximum parti de cette anomalie.
C’est, comme toi, ce que nous faisons depuis 2008 par passion et cela nous fascine encore aujourd’hui !
Merci pour cette expérience personnelle ! Je n’étais pas certain de ce que j’avançais ; du fait que sur le marché privé les bonnes affaire sont bien plus rares.
Bonjour,En parlant de powerfilm, quelqu’un a-t-il pu faire un update récent de la situation ? J’ai essayé dernièrement de me connecter à leur site pour télécharger leur dernier rapport annuel mais impossible.J’ai 2 questions plus générales concernant les titres délistés– Quelqu’un sait-il comment vendre des titres de gré-à-gré ?– Comment l’entreprise concernée sait que l’on est encore actionnaire alors que le broker n’assure plus son rôle d’intermédiaire ?
Bien à vousArnaud[Edit JL : Message déplacé sur l’article Powerfilm.]
Bonjour,
merci pour l’article clair et concis.
Est-ce un problème avec vos chiffres ou est-ce que je comprends mal, car vous écrivez « 4,6 p de placements financiers qui sont facilement monnayables, 3,56 p de créances clients », or dans le tableau je lis « Placements financiers (certificats de dépots long terme et prêts à terme) 5,62 » et « Créances clients 2,49 ».
Merci de votre aide
Bonjour Ronan-Yann,
Merci pour cette remarque car effectivement je me suis trompé. J’avais mis le tableau à jour sur le bilan de juin 2014 mais sans mettre à jour le texte. J’ai corrigé le texte.
Encore merci.
JL