Actions ordinaires et profits extraordinaires, par Philip Fisher, 1960.
L’été est propice aux lectures et à leurs compte-rendus. En voici déjà un.
Cet ouvrage est souvent décrit comme le premier best-seller sur l’investissement. La stratégie de Philip Fisher ne repose aucunement sur la valeur des actifs d’une société mais sur son potentiel de croissance. Ce grand investisseur est un des quelques-uns dont Warren Buffet a dit qu’il était un « lecteur assidu ». Nous avons donc entre les mains un des grands ouvrages de l’investissement, comparable en renommée et en intérêt, à ceux de Graham ou de Lynch.
L’introduction, écrite par le fils même de l’auteur, investisseur lui-même, permet de mettre en exergue ce que sont à ses yeux les « deux joyaux » de l’ouvrage : la méthode des commérages et les quinze points à rechercher pour une action ordinaire. Kenneth Fisher, investisseur value, souligne également l’intérêt d’appliquer la méthode de son père à des investissements value et pas forcément de croissance. Il ne faut donc pas voir ce livre comme un pur guide d’investissement dans la croissance mais comme un ouvrage de méthodologie plus général, contenant des idées clés qui permettent de juger de la qualité d’une entreprise et de son potentiel de croissance des bénéfices.
Qu’est-ce que la méthode des commérages ? « Tout simplement » recueillir le maximum d’informations sur la société en parlant avec la direction, les employés, les anciens employés, les concurrents, les clients, les anciens clients, les fournisseurs… Comme l’explique le fils de Ficher, dans le chapitre qui lui est consacré, cette méthode n’est qu’effleurée par son père. Des exemples en sont néanmoins donnés dans les chapitres qui suivent.
Si l’on veut vraiment un condensé de ce livre, donnons juste les 15 points à rechercher pour une action ordinaire :
- Est-ce que l’entreprise vend des produits ou des services représentant un potentiel de marché suffisant pour anticiper une croissance soutenue des ventes sur plusieurs années ?
- Les dirigeants ont-ils la détermination de continuer à développer des produits, des services ou des procédés de fabrication qui vont augmenter encore plus le potentiel total des ventes une fois que le potentiel de croissance des produits ou services actuellement les plus intéressants aura été largement exploité ?
- L’entreprise investit-elle en recherche et développement dans une proportion suffisante par rapport à sa taille ?
- L’entreprise possède-t-elle une organisation des ventes supérieure à la moyenne de son secteur d’affaires ?
- L’entreprise dégage-t-elle une marge bénéficiaire suffisante compte tenu de son secteur d’affaires ?
- Quelles sont les actions posées par l’entreprise pour maintenir ou améliorer ses marges bénéficiaires ?
- L’entreprise maintient-elle un climat de bonnes relations avec ses employés ?
- L’entreprise maintient-elle un climat de bonnes relations avec ses dirigeants ?
- L’entreprise a-t-elle une équipe de dirigeants aux compétences étendues ?
- Quelle est la qualité de la comptabilité analytique et du contrôle budgétaire de l’entreprise ?
- Existe-t-il d’autres aspects de l’affaire, spécifiques au secteur qui nous intéresse, qui donneront à l’investisseur des indices importants sur la façon dont se compare l’entreprise par rapport à la concurrence ?
- L’entreprise a-t-elle une vision à court terme ou à long terme de sa rentabilité ?
- Dans un avenir prévisible, le financement de la croissance de l’entreprise exigera-t-il un nombre tel d’appels au financement par actions que les nouvelles actions émises viendront par leur nombre anéantir une grande partie des profits que les actionnaires de longue date auraient pu tirer de leurs anticipations ?
- Les dirigeants parlent-ils librement aux investisseurs à propos des opérations engagées par l’entreprise tant que tout va bien mais « se taisent-ils » quand arrivent les problèmes et les mauvaises surprises ?
- Les dirigeants de l’entreprise font-ils preuve d’une intégrité absolue ?
Donc une méthode probablement bien difficile à appliquer entièrement pour un particulier, mais s’imprégner de son esprit me semble utile. Cela donne en tout cas des pistes de recherche.
Pour finir, et bien que cela soit un peu anecdotique, je ne résiste pas au plaisir de vous donner le passage où Fisher évoque la méthode macro-économique :
« La méthode conventionnelle qui est utilisée pour définir le moment propice à l’achat en Bourse est à mon avis aussi stupide qu’elle a l’air sensée en apparence. Elle consiste à collecter une masse énorme de données économiques et de tirer de ce gisement de données nos conclusions sur ce que devrait être l’environnement économique à court et moyen terme. Les investisseurs les plus sophistiqués bâtiront des prévisions sur l’évolution des taux ainsi que le niveau attendu de l’activité économique. Ensuite, si les prévisions ne laissent entrevoir aucune dégradation des conditions économiques générales, ils en concluent que le marché boursier est porteur. D’autres fois, si des nuages noirs se forment à l’horizon, ceux qui utilisent cette méthode d’anticipation largement répandue diffèreront ou annuleront les achats qu’ils envisageaient de faire.
Les objections que je dresse contre cette approche ne critiquent pas ses fondements théoriques, je m’interroge plutôt sur son utilisation pratique. En fait, l’état actuel des connaissances humaines sur les paramètres économiques influençant l’activité économique est bien trop limité pour qu’une application pratique de cette méthode soit possible. Les chances d’avoir raison ne sont pas assez fortes pour prendre le risque de se baser sur cette méthode pour gérer l’épargne des gens. Peut-être n’en sera-t-il pas toujours ainsi. La situation sera peut-être différente d’ici quatre ou cinq ans. Aujourd’hui, nombre de gens tout à fait capables d’utiliser l’outil électronique pour mettre au point des séries statistiques assez fines afin que dans un avenir indéterminé on puisse connaître avec suffisamment de précision l’évolution de l’activité économique.
Le jour où ces recherches auront abouti, si elles aboutissent jamais, il sera alors temps de réviser radicalement l’art d’investir sur les actions. Mais jusqu’alors, je suggère que la science économique qui tente de prévoir l’évolution soit considérée comme ni plus ni moins avancée que ne l’était la chimie au Moyen-Âge. » (p. 88-89).
A peine plus loin, Fisher m’a fait sourire en comparant analyse macro et religion :
« Le volume des efforts mentaux déployés par l’industrie de la finance pour deviner où va l’économie à partir d’une série de faits aléatoires et probablement incomplète, nous fait nous demander ce qui aurait bien pu être accompli d’utile si seulement une infime fraction de ces efforts mentaux avait été dédiée à des tâches plus susceptibles de déboucher sur du concret. J’ai déjà comparé la prévision économique à la chimie de l’époque des alchimistes. Peut-être que cette obsession à tenter de faire quelque chose d’apparemment impossible nous autorise à une autre comparaison avec le Moyen-Âge.
Le monde occidental vivait alors une période où la quête de l’inutile pour certains voisinait avec des privations terribles pour d’autres. Cela était essentiellement dû au fait que les considérables capacités intellectuelles de l’époque étaient consacrées à des futilités. Imaginez un instant ce qui aurait pu être accompli si l’on avait déployé, pour vaincre la famine ou la maladie, la moitié des efforts qu’on a consacrés à débattre sur le nombre d’anges qui pouvaient tenir en équilibre sur la tête d’une aiguille. Peut-être qu’une infime portion des efforts qui sont déployés aujourd’hui pour tenter de deviner où va le cycle économique aboutirait à des résultats spectaculaires s’ils étaient consacrés à la recherche d’objectifs plus productifs. » (p. 89-90).
Sommaire
Introduction [du fils de Fisher]
Préface
1. Ce que nous apprend le passé
2. Ce que les « bavardages » peuvent faire
3. Que faut-il acheter ? – Les quinze points à rechercher pour une action ordinaire
4. Que faut-il acheter ? – Comment appliquer ces règles à vos exigences personnelles
5. Quand faut-il acheter ?
6. Quand faut-il vendre – et quand ne le faut-il pas ?
7. Tout le cinéma sur les dividendes
8. Cinq choses que l’investisseur ne devrait pas faire
9. Cinq autres choses que l’investisseur ne devrait pas faire
10. Comment m’y prendre pour trouver une valeur de croissance ?
11. Résumé et conclusion.
Publié pour la première fois en anglais en 1958, puis revu en 1960. Cette traduction française de 2000, par Valor Éditions, s’appuie sur la réédition de 1996. Prix : 26 euros.
C’est un de mes livres préférés.
Très très orienté qualité du management.
Pas de création de valeur dans la durée sans management de qualité. C’est même mon premier critère pour choisir une boîte.
Cela demande donc des visites terrain ( à la Lynch c’est possible)
Je viens de terminer la lecture de ce livre, et je me demande comment réaliser le critère des « commérages » de nos jours car en tant que petit investisseur je ne vois pas comment parler au fournisseurs, aux employés et aux clients de cette entreprise ?
Bonjour Thomas,
Effectivement, ce n’est pas facile.
On peut se constituer un réseau d’investisseurs qui se partagent les informations recueillies. Cela prend du temps à constituer mais permet de diviser le travail.
Il y a aussi des sites qui diffusent les avis des employés sur leur société (il y en a un dans la barre latérale du blog).
En allant aux AG, présentations de sociétés, etc, on a aussi des avis du management sur les autres sociétés, cela m’a déjà été précieux. La société que vous rencontrez est peut-être le fournisseur, le client, le concurrent, l’ex-filiale, etc, de la société qui vous intéresse.
JL